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Jean-Luc Ponty

Dossier réalisé par Stéphane Barthod
depuis 2002

Jean-Luc Ponty
Jean-Luc Ponty le 4 avril 2017 à la Seine Musicale (Boulogne-Billancourt) – Photo : Stéphane Barthod

Entretien de 2017

Un nouveau trio, avec Biréli Lagrène à la guitare et Kyle Eastwood à la contrebasse, une tournée qui passe deux fois en Normandie : à Coutances le 20 mai à l'occasion de Jazz sous les Pommiers et à Carolles le 4 août lors du festival Jazz en Baie. Autant de bonnes raisons de retrouver Jean-Luc Ponty, ce qui fut fait le 12 avril à Paris, plus précisément à Boulogne-Billancourt, où le violoniste devait se produire à la Seine musicale deux jours après son concert de Coutances. Il revient ici sur son usage de l'électronique, son retour à un un son plus acoustique et sur la naissance du trio :

De l'électronique à l'acoustique

j’ai beaucoup suivi les évolutions technologiques. Au départ, c’était par besoin de volume. Quand j’ai commencé à aller faire la jam avec mon violon dans les clubs de jazz, je me mettais devant un micro, et comme la majorité des batteurs avaient l’habitude de jouer avec Grappelli, ils prenaient tout de suite les balais et jouaient tout doucement… Sauf que moi, je jouais avec une telle énergie que très vite, ils attrapaient les baguettes et qu’ils se déchaînaient ! On ne m’entendait plus et je ne pouvais plus m’entendre. J’ai même demandé conseil à Grappelli, qui à l’époque, jouait avec un amplificateur… C’était à l’époque où il avait envie, j’imagine, de jouer moderne : il jouait avec Daniel Humair, Guy Pederson… Il existait une pastille qu’on mettait sur le violon, que Stuff Smith utilisait aussi, et qu’on pouvait brancher sur un ampli.

C’était donc au départ un besoin de volume. Et puis quand j’ai entendu le résultat, je me suis immédiatement rendu compte qu’avec ce qui existait à l’époque au point de vue technologique, je ne pourrais jamais reproduire et amplifier un son très naturel de violon, c’était autre chose. Je me suis dit « bon, après tout… », mais en même temps, ça me donnait une puissance un peu égale à un sax ou une trompette, et j’ai plutôt essayé d’aller dans une autre direction et d’en faire un autre son plutôt que de faire ce que je n’arriverais pas à faire, autrement dit reproduire un son très pur – ce qui est possible maintenant, sauf à fort volume –

Quand je suis arrivé en Californie, il y avait tous ces jeunes ingénieurs qui créaient des « sound devices », des systèmes électroniques pour altérer le son, faire des effets, et qui amenaient ça à des musiciens célèbres comme Zappa pour les tester : des phase shifter, des delays, des wha-wha, fuzz, distorsion… Zappa me proposait de les essayer également, puisque j’avais un fil électrique, donc je me branchais : ça me plaisait, ou pas, et je sélectionnais ce qui me convenait. Ça a continué après et ça n’a jamais cessé d’évoluer. C’est sûr que j’étais comme un gamin dans un magasin de jouets, mais certains sons m’inspiraient, ça partait dans une autre dimension qui me poussait à jouer, et même écrire, différemment, en incorporant ce genre de sons, ça créait une ambiance, un climat, bien spécifiques.

Je suis allé loin, peut-être un peu trop loin par moments, mais maintenant, je suis revenu à quelque chose de beaucoup plus équilibré. Grâce au premier trio acoustique avec Al Di Meola et Stanley Clarke dans les années 90, je me suis refocalisé sur l’instrument à l’état pur, et j’ai commencé à l’aimer davantage, finalement. Plus je vieillis, plus j’aime le violon ! Ça n’était pas ma passion au début, ça l’est davantage maintenant, et il est désormais possible de retrouver des sons très proches de l’acoustique, même à fort niveau, et c’est ce que je cherche, tout en utilisant des effets, mais plutôt pour des couleurs.

Jean-Luc Ponty
Jean-Luc Ponty le 4 avril 2017 à la Seine Musicale (Boulogne-Billancourt) – Photo : Stéphane Barthod

Naissance du trio

Pour moi, c’est l’évolution, ou l’aboutissement, d’un enchaînement de projets similaires dont le premier remonte au trio de 1994 avec Al Di Meola et Stanley Clarke. Le but était de faire un projet vraiment spécial et occasionnel, tout en ayant chacun notre groupe personnel comme activité principale. Après ça, avec Stanley – nous étions très proches et vivions tous les deux à Los Angeles – on a eu l’idée de refaire ce type de projets de temps en temps, une fois tous les cinq ans à peu près, avec des partenaires différents...

Ça a été par exemple avec Béla Fleck au banjo (NDLR : en 2005) et puis Stanley lui-même, qui connaissait Biréli en tant que guitariste, même s’il n’avait jamais joué avec lui, avait proposé qu’on essaye. Lorsque François Lacharme m’a offert l’occasion de faire un concert en 2012 au Châtelet pour fêter mes cinquante ans de carrière, Stanley est venu et j’ai pensé que ce serait l’occasion d’inviter Biréli… Ça a été une vraie révélation et ça a vraiment « pris », ça a fusionné, à tel point que François a dit qu’il fallait absolument faire un disque, et c’est lui qui a été à l’origine de l’enregistrement.

Après quoi Stanley a été extrêmement pris avec ses projets personnels, moi aussi, notamment avec Jon Anderson, donc on a simplement fait ce disque avec Biréli, qui était notre dernier partenaire dans ce trio… Mais on n’arrivait pas à faire de concerts, malgré notre envie, il s’est vraiment une communication : pour moi, la musique, c’est métaphysique, ça ne s’explique pas… On entre dans un état où les ondes du cerveau communiquent. Ça ne se passe pas avec tous les musiciens : ça s’était passé avec George Duke dans ma jeunesse par exemple, et ça s’est passé avec Biréli dans le studio. On a fait des trucs musicaux comme ça, instantanés, non préparés, même pas décidés, ou je partais par exemple dans une harmonie différente et lui était là immédiatement, il ne me suivait pas : on y allait ensemble !

Donc on a eu envie de jouer, Biréli y pensait aussi, et comme Stanley n’était plus disponible, c’est Biréli qui a suggéré Kyle Eastwood, parce que le but, en fait, c’est d’assembler des musiciens qui ont une forte expérience avec leur instrument, au point où ils ont chacun créé leur propre son, et de voir comment on peut se stimuler les uns les autres, de telle sorte qu’on dépasse nos limites. J’aimais bien l’idée : il n’était bien sûr par question de trouver un bassiste pour remplacer Stanley Clarke, qui joue dans son style, il fallait justement trouver au contraire un musicien qui nous emmène ailleurs. J’ai donc été d’accord, parce Kyle est un excellent musicien… On a essayé évidemment, on a fait la jam ensemble et ça marche très bien !