interview

Sylvain Luc

Propos recueillis par Stéphane Barthod
le 21 octobre 2000 au théâtre de Caen

MUSICIEN
Sylvain Luc le 21 octobre 2000 – Photo : Stéphane Barthod

Sylvain Luc est un surdoué de la guitare. Pat Metheny dit de lui que c'est le plus grand guitariste du monde. "Tout petit déjà", il jouait... Après avoir pendant des année accompagné les autres (notamment Michel Jonasz ou Catherine Lara), il se consacre désormais à sa propre carrière. C'est ainsi qu'on a pu le retrouver en duo avec Bireli Lagrène, avec Stéphane Belmondo, en trio avec ses frères Gérard et Serge ou encore avec André Ceccarelli et Jean-Marc Jafet. C'est d'ailleurs avec cette formation (trio Sud) qu'il est venu jouer au théâtre de Caen.

Comment se situe le jazz dans ton parcours musical ?

Je me retrouve dans le jazz au niveau de l'improvisation, et la manière de développer cette improvisation. Il est clair que je joue davantage du jazz que du classique, mais je cherche à faire évoluer ça, je ne sais pas si ça s'appellera du jazz… C'est vrai que je puise beaucoup aussi dans le folklore basque, j'ai fait du rock'n'roll également, une sorte de mélange au final. Par contre, le jazz-rock ou la fusion m'intéressent beaucoup moins, je cherche quelque chose de plus « pur »… plus roots, dans les racines, donc en fonction de mes propres racines. J'ai écouté beaucoup de jazz, mais aussi de la variété, de la musique classique, toutes sortes d'influences différentes.

Tu t'investis depuis relativement peu de temps dans ta carrière en solo. Pourquoi si tard ?

On n'a pas toujours le choix… Chaque chose en son temps. J'ai appris beaucoup de choses en faisant de la production, en travaillant avec des chanteurs, en jouant avec des africains. Je pars du principe que j'avais mon apprentissage à faire (que je continue d'ailleurs toujours). J'ai eu beaucoup de chance de jouer avec des africains, des brésiliens, en jouant vraiment la musique de chez eux et avec eux. Même avec Jaïro où toutes les chansons n'étaient pas forcément intéressantes, mais il y avait toujours à un moment donné un tango : un vrai tango argentin avec un vrai argentin, pas un tango « de bal », mais tu joues avec les avances, les ralentis, tu touche davantages le pays et tu commences à comprendre un petit peu cette musique… c'est un vrai privilège.

En parlant de racines, on voit beaucoup de musiciens du sud actuellement. Comment expliques-tu ce « mouvement » ?

On dit souvent qu'il n'y a pas de hasard, mais là, je crois que c'est un peu le fait du hasard s'il y a autant de musiciens de la même génération, Thierry Eliez, Jean-Marie Ecay, Francis Lassus, Frédéric Gaillardet, Nicolas Fillatreau… Parce que dans le sud-ouest, il ne se passe pas grand-chose. Il y a plus une tradition de musiciens dans le sud-est, qui se forgent le mieux possible, qui vont « monter à la capitale », Paris…

On trouve parmi eux beaucoup de musiciens qui ont « fait le métier », plus que dans d'autres régions me semble-t-il

Sans doute parce qu'on a la chance, aussi bien dans le sud-ouest que dans le sud-est, d'avoir encore des orchestres. Ceci dit, il y en a de moins en moins. J'ai fait du bal très longtemps, c'est la meilleure école par laquelle je suis passé, vraiment.

L'improvisation

L'improvisation est au cœur de ta musique. Tu souhaitais à une époque monter une formation complète où tout le monde improviserait. Qu'en est-il aujourd'hui ?

Je me suis calmé vis-à-vis de ça. Les choses évoluent, on développe quelque chose de différent. C'est vrai que ce serait un rêve absolu, de pouvoir trouver des gens qui devinent, mais il faut toujours qu'il y ait un leader. Monter une formation complète sur ce principe serait plutôt de l'ordre de l'utopie. On peut se connaître très bien quand on joue avec d'autres musiciens, mais j'ai bien peur que l'improvisation instantanée à plusieurs ne devienne free-jazz. L'improvisation comme je l'entends suppose toutes les notions harmoniques, rythmiques, dont il faut avoir la maitrise. On doit maitriser ce qu'on joue, raconter ensemble la même histoire, et c'est très difficile. Il y a d'excellents musiciens, mais ça demande une ouverture d'esprit, une maturité, et c'est très compliqué à faire.

C'est une expérience que tu as déjà réalisée, mais en « petit comité », avec Francis Lassus par exemple.

Oui, c'est quelque chose qui fonctionne à deux, c'est clair… avec Francis, avec Louis (Winsberg), avec tous les duos, on peut aller vers l'improvisation totale, mais c'est plus difficile déjà en trio. Avec Jean-Marc et Dédé, c'est possible, on peut partir en improvisation totale, décider de jouer un morceau qui n'existe pas et le créer sur place. Ça peut arriver, et c'est grisant !

Peux-tu nous décrire ce qu'est le « bersolarisme », qui justement fait le lien entre tes origines géographiques et la notion d'improvisation ?

Oui, c'est une très vieille tradition. Il s'agit de poètes basques qui chantent en vers dans la langue basque, et qui s'appellent les « bersolari ». On est sans doute issus de cette tradition, c'est clair. C'est très étonnant à voir, ils chantent, improvisent la musique aussi bien que les paroles, en fonction de ce qu'ils vivent au jour le jour, ils créent des sortes de poèmes instantanés.

MUSICIEN
Sylvain Luc le 21 octobre 2000 – Photo : Stéphane Barthod

Tu joues en général dans de petites formations, duos, trios (c'est le cas cet après-midi)… c'est lié à la liberté que tu trouves dans ces formules ?

Je pense que moins on est nombreux, plus on profite de l'autre. On a vraiment l'occasion de profiter humainement et musicalement. Ça devient beaucoup plus compliqué avec un big band… je ne monterai pas de big bang, je le dis ! (rires) Mais j'écrirai peut-être un jour pour un symphonique, c'est autre chose…

Tu as eu justement la commande d'une partition pour 25 guitares, pour les « Internationales de la guitare »

Oui, il y avait 25 « hallebardes » devant moi, et il fallait les faire jouer. C'était une expérience assez intéressante, parce qu'il y avait beaucoup de guitaristes classiques, souvent difficiles à décoincer. Ce que j'avais demandé au départ dans le cahier des charges, c'est qu'il y ait aussi bien des guitaristes folk, jazz ou autres, que ce soit « le bordel », et c'est en fait devenu un truc assez rangé avec une sélection de guitaristes qui jouaient bien. Mais je me suis rendu compte par exemple que je ne savais pas diriger 25 guitares ! Et puis il n'y avait pas vraiment d'improvisateurs, c'était parfois un peu compliqué, avec des harmonies complexes. Je ne pense pas que c'est quelque chose que je recommencerai. J'ai plus l'ambition de monter un jour quelque chose pour un orchestre de chambre ou un symphonique.

As-tu l'intention de te produire à nouveau à la basse, sur disque ou sur scène ?

Non. À l'origine, je m'étais mis à la basse parce que Louis Winsberg me l'avais demandé, enfin j'en ai fait beaucoup pour des séances de variété, mais je ne comptais pas en jouer sur scène. À la suite d'un bœuf, Louis a tellement insisté pour que je vienne dans son groupe que j'ai accepté. C'est un métier, bassiste. Et j'ai trop envie de jouer de la guitare. J'adore le rôle de la basse un soir… je peux me « déguiser », mettre l'habit de bassiste pour un soir, mais j'ai trop envie de mettre ma couleur harmonique, rythmique, je suis trop bavard…

Tu fais d'ailleurs des clins d'œil à la basse lorsque tu joues de la guitare, certaines techniques de slap notamment.

Oui, j'aime me servir de la guitare comme d'un instrument « multi-fonctions », multiforme, parce que finalement, c'est un instrument intéressant, mais jusqu'à un certain point. C'est rapidement très connoté, on joue vite, ou « à la manière de ». C'est un instrument jeune, il y a encore quantités de choses à découvrir, et il est temps de s'y pencher. Beaucoup de gens jouent dans le même moule. À mon avis, il faut se prendre un tout petit peu la tronche pour essayer de casser toutes ces barrières. Essayer.

C'est ce que tu fais en défrichant, en tirant de l'instrument des choses assez inédites, avec souvent un côté ludique.

Oui, c'est important. De toutes façons, le rapport ludique, c'est le rapport à la musique. Si tu es garnement, gosse, tu garde ce côté-là. Ça transparaît de toute façon, tu ne peux pas mentir. D'autant plus que si tu improvises, tu es obligé de dire qui tu es, tout simplement.

Une quête sans fin

Quelles sont tes influences, ceux qui t'ont aidé à avancer dans la musique ?

Euuuh.. Jo Satriani, Slash, Steve Vai… (rires). Non, c'est l'accordéon qui m'a influencé. J'ai un grand frère qui est accordéoniste et un autre batteur, et j'ai eu la chance qu'ils m'initient à la musique « large », éclectique, dès mon plus jeune âge, et je les en remercie vraiment. Mais j'écoutais aussi des guitaristes… Le premier , c'était Baden Powell, qui est hélas décédé il y a peu de temps, et qui avait une manière très originale de jouer. Il avait sorti notamment un disque en trio que j'adorais. J'écoutais ça à 7 ans, je repiquais des trucs de Baden Powell, c'était génial, je n'y comprenais rien, les harmonies, rythmiquement, je ne « pipais » rien, mais il fallait que je comprenne. il y a eu aussi Joe Pass, Zappa, Jeff Beck, et pour d'autres instruments, Joe Rossi, Marcel Azzola, mes frères Gérard et Serge… C'est vrai que ce sont mes vraies influences, autant le dire. Après, évidemment, il y a Ravel, Bach, Mozart quelquefois, Fauré, Stravinski, Debussy. Et pour en revenir aux guitaristes, il y a eu comme tout le monde Metheny, Holdsworth… J'ai eu la chance de pouvoir imiter ces gens-là à l'âge de 13-14 ans. C'est une chance énorme, parce que j'avais commencé très jeune, à l'âge de quatre ans. Donc j'étais à fond dans Holdsworth à 12 ou 13 ans, j'en étais fou, il fallait à tout prix que je relève ses phrases… Mais comme j'étais fainéant, je ne le faisais pas vraiment, je relevais « à la feuille » ce que je comprenais. Pareil pour Metheny, Scofield. En fait, rapidement, je me suis rendu compte que j'essayais de jouer comme tout le monde, et je me suis demandé où j'en étais exactement, qui j'étais. J'avais quand même ce soucis là. Et puis il y des gens qui m'éclairaient, qui me disaient que j'étais plus dans mon truc quand je jouais tout seul avec ma guitare classique. Et j'ai rencontré des gens qui ne faisaient pas de musique, comme le navigateur Eugène Riguidel, des amis qui font d'autres choses, et qui me demandaient ce que je racontais en musique, sorti de la virtuosité. Tu reçois ça dans les dents, et en fait, tu t'aperçois qu'il faut vivre, tout simplement vivre sa vie pour raconter des petites choses. On peut les raconter très vite, ou très lentement, pourvu qu'on raconte ! Après ça, il n'y a plus de problème, de carcan de virtuosité, de technique. Tu racontes quelque chose à la vitesse qui est la tienne, au moment présent.

Et tu ne cherches pas ta personnalité, tu dois la « laisser sortir »…

Oui, mais ça c'est du boulot ! Se lâcher… c'est très difficile, on ne peut pas imaginer à quel point. On a des tas de tabous, de pudeurs. C'est un travail de tous les jours d'essayer d'être soi, simplement. Mais c'est difficile. Il faut avoir l'occasion de beaucoup jouer aussi, on a de la chance quand on joue, de pouvoir déverser ses émotions, essayer d'être le plus généreux possible.

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Sylvain Luc le 21 octobre 2000 – Photo : Stéphane Barthod