interview

Philip Catherine

Propos recueillis par Stéphane Barthod
le 27 mars 1999 au théâtre de Cherbourg.

Mino Cinelu
Philip Catherine le 16 mai 2009 – Photo : Stéphane Barthod

Philip Catherine était au Théâtre de Cherbourg le samedi 27 mars 1999 pour clôre la dixième édition du festival Jazz on the CUC.

Depuis une quarantaine d'années déjà, le guitariste belge égrène ses notes lumineuses. Chez lui, la technique n'est jamais un but, elle est toujours au service de la musique et de l'expression. "De la musique avant toutes choses", tel semble être son credo. Entouré ce soir d'une section rythmique fort complice, il nous a emmené en toute simplicité dans son univers très personnel... On n'a qu'une envie : y retourner bientôt !

Une quarantaine d’années de carrière, c’est l’occasion de faire un retour en arrière. Quels sont pour vous les moments forts de votre parcours ?

Oui, je me souviens, j’ai joué en 58, à l’expo 58. Au tout début, il y a les premières jam-sessions avec des bons musiciens, j’ai toujours joué avec des meilleurs musiciens que moi… ce qui n’est pas difficile (rires). Vous savez que la première jam-session, c’est Daniel Humair qui m’a emmené dans un club de jazz, je suis venu avec mon papa parce que je ne pouvais pas entrer sinon, je n’avais pas dix-huit ans. Je suis venu faire le bœuf, deux-trois morceaux, et puis un saxophoniste est venu faire le bœuf aussi, que je ne connaissais pas figurez-vous à l’époque, c’était Sonny Stitt ! Il est venu jouer quelques morceaux aussi. C’était pas mal comme première jam !…

Il y a eu Jean-Luc Ponty. (dans le groupe duquel il a joué au début des années 70 - NDLR)

En faisant mon album "guitars", qui est introuvable maintenant.

Ma rencontre avec Chet Baker a également été importante.

Aussi avec Trilok Gurtu. J’ai eu Trilok Gurtu dans mon quartet en 1980 ; on a fait un album ensemble avec Charlie Mariano et le jeune guitariste belge Nicolas Fiszman, c’était une belle période aussi. C’est aussi un disque qui n’est pas ressorti, "End of august" J’ai eu plein de bons moments… Ce soir ! Ce soir à Cherbourg…

Avec Dexter Gordon, j’ai beaucoup aimé jouer. Et puis j’ai eu la chance de jouer avec beaucoup de bons batteurs qui ne sont pas tellement connus, comme Billy Brooks. Il y a des gens pas connus avec qui j’ai eu beaucoup de plaisir à jouer.

En revenant au tout début, il y a eu la découverte de Brassens…

Oui, c’est pour ça que j’ai acheté une guitare, j’ai été chez un professeur et j’ai commencé à apprendre des chansons de Brassens. Je voulais acheter des partitions et lui montrer les accords avec des barrés, il ne les faisait pas comme Brassens, et lui improvisait dessus. Tout de suite j’ai eu envie de faire la même chose, et j’ai vite compris le principe de base, qu’il y avait des notes qui sonnaient bien avec les accords, et d’autres pas… Très vite j’ai entendu plein de musique de jazz en même temps. Il y avait un orchestre dans ma rue qui répétait le répertoire des Jazz Messengers. J'avais aussi un voisin, un ami à moi qui avait des disques de Django Reinhardt. Mais pas que Django, je le précise à chaque fois, parce que j’adore Django, j’en suis fou, mais je n’écoutais pas que lui. Mais c’est vrai que Brassens a fait que j’ai acheté une guitare, je n’avais jamais entendu le son de cet instrument avant, ou si je l’avais entendu, je ne l’avais pas remarqué.

Et l’idée d’arranger Brassens en jazz ?

J’étais tout près de le faire, on me l’avait fort conseillé d’ailleurs. Je ne l’ai pas fait, mais je crois que ça doit être possible. J’aime bien ses mélodies. Je devais rencontrer Brassens d’ailleurs, à un certain moment, par l’intermédiaire d’Yves Robert, le réalisateur. J’avais joué un jour dans un de ses films, et il m’avait demandé comment j’avais commencé la guitare, et quand je lui ai raconté que c’était par Brassens, il m'a dit "Mais ça c’est incroyable, je vais lui raconter ça !". Je ne savais pas, moi, qu’il connaissait Brassens. Il m’a dit qu’il serait très content de savoir que quelqu’un est devenu guitariste de jazz à cette idée là. Mais Yves Robert est tombé gravement malade et le rendez-vous a été ajourné, et quelques mois après, Brassens est mort. Je ne l’ai donc jamais rencontré, et je le regrette… Il y avait une chanson que j’aimais bien de lui, c’était "Je me suis fait tout petit devant une poupée", il y en a beaucoup en fait que j’aime bien, surtout dans la première période, "Les bancs publics", "La Margot", "Il suffit de passer le pont"… Sa musique m’a touché.

Il y a un musicien d’origine caennaise avec lequel vous avez joué récemment : Emmanuel Bex. Comment s’est passée cette rencontre ?

Ah ! Je ne savais pas qu’il était né à Caen ! Je l’ai rencontré par une amie commune en 1980 à l’époque où je jouais avec Trilok Gurtu justement. Il était alors complètement inconnu ; j’ai été chez lui, écouter, et puis Aldo Romano m’en avait parlé de nombreuses années après. Il y a quatre ou cinq ans, j’ai été invité par Aldo à jouer en trio avec eux au Sunset, et on a joué comme ça environ deux fois par an (voir l'album La Belle Vie, paru en 2019).

Différentes formations

En parlant de claviers, vous aviez dit dans une interview qu'en trio, il vous manquait parfois le tapis harmonique d'un piano par exemple… Et de nouvelles expériences avec d'autres guitaristes sont-elles en vue ?

Pour l’instant, j’essaie de me concentrer sur la formule basse-guitare-batterie. Parfois, c’est également Hein Van de Gein à la contrebasse (qui jouait justement la veille de l’entretien à Caen avec Papaq - NDLR). C’est moi qui l’ai trouvé, en 1985, il était inconnu. Enfin, Chet Baker m’en avait parlé. Pour rester dans la première partie de la question – vous parliez du manque de piano - c’est vrai que parfois le piano apporte beaucoup de choses, mais c’est vrai aussi que sans piano, c’est très bien aussi. Au point de vue interaction, à trois c’est plus facile. De toute façon harmoniquement je trouve qu’il n’y a rien qui manque maintenant. Et d’autres rencontres pour l’instant… je sais qu’Andy Summers, le guitariste de Police voudrait que je fasse un disque avec lui. Je ne sais pas si je vais le faire. Ça peut être intéressant je n’en sais rien. Je voudrais d’abord essayer avant de mettre en place une tournée, mais il habite très loin, à Los Angeles. On s’échange des e-mail en ce moment.

Et de plus grandes formations ?

C’est vrai que j’ai fait aussi des concerts récemment en trio avec un orchestre à cordes en Belgique (I Fiamminghi, un orchestre de 15 cordes dirigé par Rudolph Werten). Je suis en train de me demander si on ne sortira pas quelque chose, comme on a déjà cinq thèmes ensemble... J’ai envie de creuser un peu ça, parce que ça sonne bien quand même.

Il y avait déjà des cordes dans "Spanish Nights"

Oui, mais ça n’était pas du tout mon idée, là. C’était l’idée de Kenny Drew. D’ailleurs ce disque s’est fait sur un quiproquo incroyable. Moi je pensais que j’étais sideman sur un disque de Kenny Drew. Quand je suis arrivé là, je dois dire que j’ai eu un drôle de choc, ça m’a fait vraiment bizarre. Je ne m’attendais pas du tout à ça, je me sentais pris en otage dans une situation inattendue. Sur cet album, j'aime bien le thème "Django" ; en fait, je crois que c’est le plus réussi.

Et dans les musiciens actuels, lesquels trouvez-vous intéressants ?

Je trouve que Bill Frisell a beaucoup d’idées. J’adore Georges Benson aussi, je ne sais pas ce qu’il fait maintenant, mais j’ai toujours adoré Benson. Il y a des gens qui me disent qu’ils pensent que Frisell m’a écouté. Je ne sais pas si c’est vrai historiquement, mais je sais que j’ai souvent joué en face de lui quand il était en Belgique, et je ne savais pas qui c’était. Il habitait en Belgique, sa femme est belge, elle vient de Spa. Il fait de très belles choses, au point de vue composition.

Il a en commun avec vous de ne pas faire de démonstration technique, mais de mettre celle-ci entièrement au service de la musique.

Il y a un guitariste qui est très équilibré à ce niveau là, c’est Georges Benson, parce qu’il a une technique foudroyante, mais on ne la remarque pas. C’est fou… terrible ! (rires)

Les projets

Justement, je suis en train de défricher le terrain. Je crois que je voudrais faire un disque en trio, basse/batterie/guitare.

Je voudrais faire un disque peut-être avec deux guitares acoustiques. Je ne sais pas avec qui, et je me demande même si je ne ferai pas les deux parties moi-même… parce que j’ai fait des trucs comme ça qui ne sont pas sortis, et qui me plaisent fort, et j’ai envie d'en faire un disque entier ; mais je sais que ça paraît bizarre de faire ça.

Un troisième projet serait peut-être de faire un de ces quatre un disque avec l’orchestre à cordes, le son de ma guitare électrique sonne très bien avec les cordes. Mais là je dois prendre un certain temps.

Et en solo ?

En solo ? Je n’ai jamais fait ça... J’ai tellement peur. Ça m’est déjà arrivé de faire des interviews à la radio et de jouer seul à la guitare, et c’est vrai que ça ne sonne pas si mal, mais c’est vrai que je n’ai jamais osé faire ça sur scène ou en disque. Je vous remercie de me poser la question, ça me fera réfléchir (rires).

Mino Cinelu
Philip Catherine le 28 mai 2019 – Photo : Stéphane Barthod