interview

Pat Metheny

Propos recueillis par Michel Dubourg et Stéphane Barthod
le 16 mai 1998 à Coutances
remerciements spéciaux à Ludo Mathos pour son aide à la transcription de l'entretien

MUSICIEN
Pat Metheny le 16 mai 1998 – Photo : Stéphane Barthod

Pat Metheny a ouvert en 1998 le Festival Jazz sous les Pommiers avec le Pat Metheny Group. Un concert généreux (en énergie aussi bien qu'en temps : presque 3 heures...), un spectacle lumineux dans tous les sens du terme, et également une bonne occasion de le rencontrer, entre la répétition et le concert.

Je crois que vous n’étiez jamais venu en Normandie auparavant ?

Non, en effet, nous en parlions justement. Et nous sommes très heureux d’être ici, c’est un si bel endroit… Je connais ce festival depuis plusieurs années pour en avoir entendu parler par des musiciens qui nous ont toujours dit que c’était un lieu agréable. Nous sommes vraiment contents d’avoir l’occasion d’être ici. (NDLR : le guitariste reviendra par la suite plusieurs fois à Coutances : en 2003 avec Charlie Haden, en 2010 pour une résidence de plusieurs jours et les deux premières dates de sa trournée mondiale avec l'Orchestrion Project, et en 2017 en quartet)

Une nouvelle tournée « The imaginary tour », un nouvel album : qu’y a-t-il de nouveau dans cette tournée et votre musique ?

Nous avons toujours cherché une nouvelle optique et de nouvelles façons de penser la musique que nous jouons, et il y a beaucoup d’instruments nouveaux dans ce disque, l’introduction d’un ou deux changements significatifs du point de vue guitaristique : l’un est la guitare à 42 cordes, qui offre toutes sortes de possibilités polyphoniques assez inhabituelles, et d’autre part la guitare fretless qu’on entend sur le titre Imaginary day et qui est quelque chose de nouveau pour moi. Ceci me stimule et m’offre beaucoup de possibilités expressives.

Le groupe existe depuis combien de temps, maintenant ?

En ce qui concerne le noyau dur, moi et Lyle, cela fait plus de vingt ans maintenant que nous jouons ensemble, mais pour la section rythmique - moi, Lyle, Steve Rodby et le bassiste Paul Wertigo -, cela fait je crois 17 ans. Nous avons eu quantités de possibilités de jouer des concerts autour du monde, c’est une section rythmique fantastique, et la façon dont nous avons développé ensemble la sonorité du groupe est l’une des choses dont je suis le plus satisfait.

Vous avez d’autres expériences, avec Charlie Haden et Billy Higgins, avec Joshua Redman… Quand et comment décidez-vous de travailler avec le groupe ?

C’est quelque chose qui vient naturellement, on fait un enregistrement avec le groupe, puis une tournée d’un an, un an et demi, et il y a des moments où tout le monde, moi y compris, a envie de faire d’autres choses. Ces projets en dehors du groupe ont je crois une grande importance pour l’unité du groupe et apportent beaucoup avec le temps. Ce que nous faisons ailleurs enrichit le groupe dans le sens où nous apprécions ce que nous pouvons faire avec le groupe et que nous ne pouvons pas faire ailleurs, de même que le fait de nous améliorer en jouant avec d’autres musiciens. C’est naturel de jouer un peu avec le groupe, faire d’autre choses et de revenir ensuite au groupe.

Parlons un peu des projets… Cette tournée va durer combien de temps ?

À la base, c’est une tournée d’un an, nous allons faire 200 concerts cette année. Il y a quelques nouveautés en vue : un disque qui est déjà enregistré, le nouvel album de Gary Burton où je joue avec Chick Corea, Roy Haynes et Dave Holland. Gary, avec qui je joue évidemment depuis longtemps, est un de mes musiciens favoris. Cet album a été très agréable à enregistrer et le résultat est très positif. D’autre part, avec Jim Hall, nous avions prévu un album en duo depuis environs 15 ans, et nous allons enfin l’enregistrer en juillet. C’est quelque chose que j’attends avec impatience. Voilà les deux nouveautés à venir.

MUSICIEN
Pat Metheny le 24 mai 2017 – Photo : Stéphane Barthod

Best of ?

Pouvez-vous choisir les 3 meilleurs albums que vous ayez enregistré, si c’est possible ?

C’est très difficile en fait. Tout d’abord, je suis assez critique, c’est vraiment impossible pour moi. de dire ces titres que j’aime sur chaque album et certaines chose que j’aime moins par la suite. Parfois, il me faut des années pour apprécier un album, d’autres fois je suis très enthousiaste après avoir enregistré, je pense que c’est le meilleur, et quelques années plus tard je le réécoute et je trouve qu’il n’était pas si bon que ça. Ça change tout le temps.

L’album que j’ai fait au début de l’année avec Charlie Haden Beyond the Missouri sky est vraiment particulier pour moi, pour l’étroite amitié qui nous lie, et également parce que l’enregistrement a rendu quelque chose que je n’avais jamais su obtenir auparavant, et je dois vraiment remercier Charlie pour cela.

Secret Story est également un disque spécial pour moi, ça a été l’aboutissement d’environ 15 années de travail et de préparation, et il aura toujours une place à part.

Même Bright size life, le tout premier disque que j’ai fait avec mon ami Jaco Pastorius est un album qui passe bien les années. Quand je l’ai enregistré, j’avais 19, peut-être 20 ans, mais une grande partie de ce que je voulais faire en jazz et en musique en général y était déjà assez clairement défini ; quand je me revois à cette époque, je suis fier d’avoir vraiment essayé de faire quelque chose de différent. Je crois qu’en tant que musiciens, nous avons le devoir de tenter de faire avancer les choses ; j’adore jouer des standards comme tout le monde, c’est comme cela que j’ai progressé. Mais nous devons faire autre chose aussi. Je pense que cet album est une bonne carte de visite pour quelqu’un qui fait de la scène.

Vous intéressez-vous aux musiciens français ou européens, et avez-vous envisagé un projet avec des musiciens français ?

Il y a tellement de grands musiciens ici ou là dans le monde entier avec lesquels je n’ai pas eu la chance de jouer et avec qui j’ai toujours souhaité travailler… Assurément il y en a beaucoup en Europe. Daniel Humair par exemple est un de mes musiciens favoris et j’adore sa façon de jouer depuis que je l’ai entendu jouer à la fin des années 60 avec Phil Woods et the European Rythm Machine. C’est pour moi un des batteurs les plus intéressants et créatifs qui soient, et c’est quelqu’un avec qui j’ai toujours eu envie de faire quelque chose. (NDLR : cinq ans après cet entretien, la rencontre avec Daniel Humair se concrétisera à l'occasion d'une soiré spéciale du festival Jazz à Vienne)

On a joué en Hongrie et en Pologne, on a fait des jam sessions après les concerts, et j’ai joué avec de jeunes musiciens qui m’ont vraiment épaté. J’aurais aimé les amener à New-York avec moi pour faire un disque avec eux tellement ils étaient bons. En fait, nous trouvons que le niveau des musiciens en Europe est devenu si bon depuis ces 10 ou 15 dernières années… C’est vraiment époustouflant ! Vous pouvez maintenant trouver d’excellents musiciens, tous instruments confondus, il y a vraiment de supers éléments.