interview

Nguyên Lê

Propos recueillis par Stéphane Barthod
en juin 2002

MUSICIEN
Nguyên Lê le 16 mai 2007 – Photo : Stéphane Barthod

Le 27 janvier 2002, Nguyên Lê était l'invité du Pierre Allard Quartet à l'Espace Puzzle dans le cadre des concerts Jazz Dudim, avec un répertoire mêlant ses propres compositions à celles du groupe. Le guitariste prépare par ailleurs pour la rentrée un album en hommage à Jimi Hendrix. Rencontre, et questions par e-mail dans les mois qui ont suivi...

Que « signifie » le jazz dans ta musique, entre tes influences rock, tes racines vietnamienne et une ouverture « tous azimuts » ?

Le Jazz est le langage musical qui me correspond le mieux car il peut justement réunir toutes ces influences. C'est une forme d'Art par définition ouverte, a la fois une tradition avec ses origines et son histoire, ainsi qu'un mouvement culturel qui n'a cessé de se développer tout au long de ses rencontres et métissages.

Tu as décrit le jazz comme étant la notion de passer du « beau » vers celle du « vrai ». Peux-tu développer ?

C'est une vaste question, mais je pense surtout à la problématique de l'improvisation : l'essentiel du geste improvisé est qu'il provienne d'une intention forte et profonde, d'une émotion sincère et d'une inspiration vitale. Toutes les notes peuvent se justifier si elles sont vraies. Inversement, j'irais même jusqu'a dire (surtout pour les étudiants) que si l'on a raté une phrase, c'est que l'on n'y croyait pas assez.

Le Vietnam

Tes racines vietnamiennes sont-elles très présentes dans ton enfance et ton éducation, ou bien est-ce surtout de jouer de la musique qui t'a amené à remonter aux sources ?

J'ai été environné de musique vietnamienne dans mon enfance mais c'était une influence passive, à laquelle je n'avais pas spécialement goût. Il m'a fallu attendre mes premiers projets solo (Miracles, 1989 ; le morceau "Vent d'Automne" dans le CD "Esimala" d'Ultramarine ; "Tales from Viêt-Nam", 1995) pour commencer ce retour aux racines et faire venir à jour ces premières influences inconscientes. Un travail de recherche et d'étude, pas du tout un exercice inné.

Apprendre le monocorde avec Truong Tang  a-t-il changé ta façon d'appréhender la guitare ?

J'ai commencé à apprendre le monocorde à mon premier séjour au Vietnam, en 1979, puis j'ai continué à Paris avec Truong Tang. J'ai surtout appris une technique, que j'ai appliquée à la guitare électrique avec vibrato. J'ai aussi senti, car je n'étais pas très bon, qu'il valait mieux que je travaille à "vietnamiser" la guitare que d'apprendre les instruments traditionnels vietnamiens.

Tu utilises l'ordinateur pour monter des maquettes. Est-ce pour toi un instrument à part entière, pour la composition, l'arrangement ?

Je fais tout avec l'ordinateur, beaucoup plus que des maquettes et la composition. Je prépare des séquences avec lesquelles les musiciens jouent sur le disque (déjà dans "Miracles" ou même "Programme Jungle" il y a des séquences de QY 7 !). J'enregistre des parties qui se retrouvereont sur le mixage final (j'ai commencé avec "Tales from Viêt-nam" avec des enregistrements d'instruments traditionnels, de sax/flûte et de guitare). Maintenant j'ai réalisé les deux CD de Huong Thanh entièrement à la maison, mixage compris. Actuellement je mixe la totalité de mon prochain CD à la maison, après avoir transféré sur mon disque dur les prises live enregistrées au studio Davout à Paris.

Tu collabores régulièrement avec Peter Erskine. Tu te sens des affinités musicales particulières avec lui ou est-ce surtout une question de rapports humains ?

Depuis "Miracles", Peter a toujours été mon "bon ange" en me recommendant dans diverses situations qui ont toutes été marquantes pour moi : Jazzpana et Sketches avec Vince Mendoza, la rencontre avec le label ACT, en sept je vais jouer avec lui avec le Philarmonique de Berlin dirigé par Simon Rattle. Mais c'est avant tout un batteur fantastique, qui allie précision et swing, finesse et goût. J'ai beaucoup appris avec lui.

MUSICIEN
Nguyên Lê le 21 août 2016 – Photo : Stéphane Barthod

Hendrix

Jimi Hendrix revient régulièrement dans ton parcours, plus en tous cas que chez d'autres guitaristes. Que représente-t-il pour toi ?

Le père de la guitare électrique par l'utilisation exacerbée de la dimension sonore offerte par l'électricité - les effets, la distorsion, le "bruit"; le symbole de l'engagement viscéral du musicien dans son acte d'expression - comme si chaque note était la dernière.

Ton prochain album est justement centré sur Hendrix. Où en es-tu de ce côté ? Et comment as-tu rencontré Terri Lyne Carrington ?

Je mixe et dois finir le 4 juillet. Sortie du CD et premiers concerts début octobre, le 19 octobre à la Cité de la Musique, le 14 février à Caen !

L'agent de Terri Lyne, qui m'avait invité sur un projet autour de Hendrix à Stuttgart en 1995, m'a contacté pour me demander de remplacer Robben Ford dans le groupe de Terri sur une tournée en avril 2000. Je suis resté !

Tu as enregistré dans beaucoup de formules différentes, du trio au big band. Les prestations en solo ou en duo t'attirent moins ?

C'est en effet rare. J'ai fait 3 concerts en solo. J'aime ça mais je dois dire que je trouve cela assez triste - une des raisons pour laquelle je fais de la musique est de jouer avec des gens ! J'ai fait quelques concerts en duo, un super avec Paolo Fresu parce que Furio di Castri était bloqué dans un aéroport, un autre super avec John Taylor, un autre avec Jon Balke. Ca m'intéresse mais rien de concret pour l'instant.

Pour le prochain album, as-tu songé à Cassandra Wilson avec qui tu avais joué à Stuttgart pour l'album Hendrix ?

J'y ai pensé un moment. Mais en fait j'avais déjà la trilogie de chanteuses que je voulais : l'Amérique avec Terri, l'Europe avec Corin Curschellas, l'Afrique avec la malienne Assitan Dembélé. Terri et Cassandra ça faisait double emploi... next time...