interview

Louis Winsberg

Propos recueillis par Stéphane Barthod
le 28 avril 2019 à Saint-Clair-sur-Elle

Louis Winsberg
Louis Winsberg le 27 avril 2019 à Durcet (Orne) – Photo : Stéphane Barthod

Le présent / Les projets (5/5)

Pour enchaîner avec Charlier et Sourisse, comment s’est mis en place le projet autour de Michael Brecker ?

On se côtoyait et on s’aimait bien, on faisait chacun nos trucs, on s’est toujours appréciés, et c’est Gilles Labourey, le directeur de l’IMFP à Salon-de-Provence qui me conseillait de faire quelque chose avec eux. Un jour, il nous a programmés, on a fait un premier concert-rencontre qui s’est bien passé, et puis ça s’est répété, à chaque fois, on se régalait bien, et on s’est dit qu’il fallait réfléchir à un vrai projet, et ça a pris des années. À un moment donné, on s’est trouvés vraiment autour d’une table, on aurait pu faire des compositions, mais on avait envie de se retrouver autour d’une thématique un peu précise, sur un grand musicien qui nous plaît. Charlier/Sourisse/Winsberg : Tales From MichaelOn a évoqué Ornette Coleman, Mingus, Pastorius, et quand on a parlé de Brecker, on s’est dit que ce serait bien. C’est vrai qu’il n’a pas été honoré comme il faudrait, même si ça commence, pour les jeunes, il est dans le Panthéon. Une fois qu’on a choisi, ça a été très efficace, on s’est donné trois mois pour écouter et choisir les morceaux, trois de répétitions en juin, puis on enchaîne avec le jazz-club de Dunkerque et juste derrière, on enregistre : ça a pris neuf jours seulement, et les morceaux, il fallait quand même y aller, surtout à trois ! Ils sont normalement six ou sept et il fallait trouver le moyen de jouer ça en trio. Il a fallu choisir les titres, les relever, les répéter… On n’a pas tout enregistré en trois jours en fait, on en a fait les trois quarts et en septembre, en deux jours, on a terminé. Tout ça est allé assez vite et bien, et on a beaucoup de concerts.

Avec quels autres musiciens as-tu encore envie de jouer ?

C’est toujours les mêmes, et je pense qu’ils le savent… Il y a Emmanuel Bex, on a joué déjà ensemble, on s’apprécie beaucoup et j’adorerais faire un truc avec lui. Je pense que je le ferai. Avec Olivier Ker Ourio aussi, j’ai très envie… Alors pourquoi pas les deux ?

Sinon, j’ai plein de projets en tête… Là, j’ai le prochain trio que je suis en train de faire avec deux musiciens un peu fous furieux, Jean-Luc Di Fraya qui est percussionniste chanteur, il est de mon coin, on fait de la musique ensemble, et Patrice Héral. Ils ne jouent pas de batterie dans le trio, ils ne jouent que des percus et des machines, et c’est complètement improvisé. Je suis en train de travailler sur l’album qui est un truc totalement live, très original en fait. C’est un peu compliqué…

La première rencontre qu’on a faite, c’est dans mon village, je fais un truc qui s’appelle "jazz en hiver", je voulais les faire se rencontrer tous les deux et on a fini par le faire, un concert de deux heures dans un café d’Eygalières, que j’ai enregistré. Il se passe tellement de choses dans ce concert, c’est monstrueux… Ils ne se connaissaient pas, ils ne s’étaient jamais vus, et ça s’est passé au-delà de mes espérances. Quand j’ai réécouté, j’ai trouvé ça dingue, et je suis maintenant en train de travailler sur cette bande, j’ai choisi les meilleurs moments, j’ai réduit à une heure, et comme le son n’était pas assez bien, je retravaille en studio, on fait comme si on faisait une sortie de console, avec un bon son multipiste, donc on relève tout et on rejoue tout, c’est un travail de fous, on est en train de faire de l’écriture sur une totale improvisation.

Ça me trottait dans la tête depuis longtemps de faire ça, mais je ne savais pas que je le ferais avec une impro collective. Je pensais peut-être un jour me mettre dans mon studio et improviser, et ensuite je choisis des moments, j’harmonise et j’orchestre. Mais là, de faire une impro collective, c’est encore pire… On a fait une séance de studio en se concentrant sur les percus, relever, on utilisera le son live, mais on le regrossit, on le redéfinit. 80% de la musique, ça a pris deux heures, et les 20% qui restent, ça va prendre un an, mais c’est très excitant, il y a une telle énergie sur le live… Elle est sur la bande, après il faut le faire sonner. S’il y avait eu un multipiste pour cette soirée, je l’aurais utilisé, mais en même temps, ça m’intéresse de faire ça, parce que je me permets de faire des trucs. Par exemple, dans ce que fait Jean-Luc, si j’ai envie d’harmoniser, de faire une deuxième voix, on se le permet. Ça va être martien, parce qu’on sent l’énergie, archi live, on entend les gens qui participent, il y a des bœufs, il y a Mona qui vient chanter un super beau truc en algérien, un type du village qui vient jouer de l’harmonica, je ne sais pas ce que je vais faire avec ça… En tout cas, c’est très excitant, je le fais quand j’ai un peu de temps de libre, c’est compliqué… Le temps… Justement, ça risque de s’appeler « Temps réel ».

Là, on va jouer deux jours à Marseille, au Jam, et deux jours à la Gare à Paris. On a une petite résidence, mais on ne va pas travailler les morceaux, on va travailler sur comment improviser, avoir des clefs entre nous pour définir qui va prendre la parole, qui va prendre la basse, mais il ne faut pas répéter, eux, ils partent au quart de tour et c’est ça qui est intéressant. Pour cet album, je vais rester sur ce concept. Après, si chaque fois qu’on joue, on enregistre, ça me plairait bien, ça peut être beaucoup plus simple. Il faut qu’on y réfléchisse, un enregistreur léger, une carte son, un ordinateur portable et enregistrer tout en multipiste. C’est très possible de faire des disques, mais c’est la suite qui est compliquée, savoir pour quelle destination. Je pense que ce n’est pas très bien de faire trop de disques. Celui-là, c’est une idée que j’ai depuis longtemps, je vais le faire. Après, ce genre de groupes, si tu fais des enregistrements live, il peut se passer des trucs supers. En tout cas, c’est assez excitant à faire !