interview

Louis Winsberg

Propos recueillis par Stéphane Barthod
le 28 avril 2019 à Saint-Clair-sur-Elle

Louis Winsberg
Sixun le 27 mai 2006 à Jazz sous les pommiers, Coutances (Manche) – Photo : Stéphane Barthod

Un entretien en cinq parties :

L'aventure Sixun / La révolution Miles Davis (2/5)

Voilà, ça commençait à faire tchatcher un peu et un jour, il me parle d’un concert prévu le samedi – tous les samedis, il y avait des concerts au CIM, dans une salle de 120, 150 places – avec Antoine Hervé, qui s’est désisté. Il m’a demandé si j’avais un projet, et là, j’y suis allé au bluff total : j’avais rencontré Paco [Sery] dans un bœuf la semaine précédente par Jean-Pierre [Como]… Paco a amené Michel [Alibo] et Abdou Mboup, et moi j’ai amené Alain Debiossat, qui était au CIM avec moi en arrangements. On a fait une répétition la veille et on a fait le premier concert de Sixun, qui ne s’appelait pas encore comme ça. Paco est arrivé en retard, il était au poste de police… On a un peu flippé, mais le concert était monstrueux, il y avait un monde fou : Paco était déjà une petite star à Paris, il y avait le milieu antillais, je commençais aussi à avoir la cote, on a dû refuser du monde alors qu’on jamais rien fait ensemble ! On a fait un concert de trois heures, et je me rappelle très clairement que le son de Sixun était là dès le début. Sixun : Nuit Blanche

Après le concert, Alain Guerrini a proposé de faire un disque ! À l’époque, c’était simple…Quelques mois après, on est entrés en studio, on a répété, on a apporté des morceaux, et on a fait « Nuit Blanche », le premier disque, avec la pochette de Daniel Jan. On n’était pas très vieux. Ça a assez vite fait du buzz, on a fait quelques festivals, on a eu des articles, et on a été repérés par Gilles Jumaire qui avait monté la tournée d’Uzeb, à l’époque, il travaillait pour Jean-Marie Salhani et il a créé sa boîte, Bleu Citron. Il a quitté Salhani et il s’est occupé alors de Sixun : là, ça a décollé très vite, c’est un super manager, prêt à produire, à investir, à tout coordonner. On le voit aujourd’hui avec Sixun, si on n’a pas un manager, ça part dans la nature...

Dans le groupe, les percussionnistes ont souvent changé…

Oui… Abdou Mboup, c’était un roi du Sénégal, c’était super, mais il n’a jamais voulu se mettre vraiment dans le groupe. Après Abdou, on a pris Idrissa Diop, sénégalais également. Puis on a eu Jaco Largent pendant des années, qui avait vraiment amené un truc, il est guadeloupéen je crois, ensuite on a eu Arnaud Frank, toute la période aux États-Unis, « Nomads’ Land ». On a fait également un disque, « Nouvelle vague », avec Manolo Badrena, un génie ! Après, celui qui est resté, c’est Stéphane Edouard, depuis qu’il est là, Paco a la « banane » tout le temps, c’est vraiment chouette. Donc, c’est parti très vite, cette aventure Sixun, à partir de la rencontre avec Gilles Jumaire, qui a vraiment cadré les choses… La première tournée, on est partis à la rock’n’roll avec un minibus et des petits cachets au lance-pierre, mais plein de concerts, et dès la deuxième tournée, ça montait en puissance très vite.

Miles Davis : We Want MilesPour en revenir aux origines de Sixun, en 1982, c’est aussi l’année de ton choc électrique avec Miles Davis, au Châtelet…

Absolument, c’était autour des mêmes années… Effectivement, j’ai fait un groupe un peu avant Sixun, qui s’appelait Caméléon, avec Antoine Illouz, Tony Ballester, Louis Roua (+ percus), on avait fait un concert au New Morning et c’était la musique de « We Want Miles », c’était vraiment ça, parce qu’à l’époque, on s’est pris ça dans la tronche, moi j’ai changé de guitare, j’ai acheté une strato… Ça a été un choc, ça a été vraiment la musique du moment, on est vraiment les enfants de cette musique-là, de Weather Report, c’était tout nouveau, c’était un truc de fous, donc on était sur cette énergie-là.

Et parmi toutes ces formations, Weather Report, Return to Forever, Mahavishnu Orchestra, Lifetime… Comment expliques-tu le fait que Weather Report en particulier ait eu autant d’influences ?

Pour moi, c’est clair qu’ils sont dix coudées au-dessus de tous les autres groupes, même si les autres sont vraiment super, Mahavishnu, Return To Forever, Yellow Jackets, mais c’est très loin de Weather Report… Il faut dire quand même que Zawinul est quand même un génie du siècle, on peut le dire, c’est un immense musicien, Pastorius et Wayne Shorter qui sont des génies aussi, doublés de compositeurs hors pairs, et qui ont créé une musique ensemble, le résultat pour moi est incroyable, unique. Ce sont des enfants de Miles, comme Jarrett, qui est aussi incontournable, aussi haut, des étoiles comme ça, Coltrane, Miles – j’enfonce des portes ouvertes, un peu ! (rires) – mais quand même, ils sont pour moi dans une sphère, ils ont fait des choses sublimes, ils ont inventé un truc, et notamment, comme c’étaient de grands improvisateurs, il y a cette notion qui m’a toujours énormément intéressé de rapport entre l’improvisation et l’écriture : on ne sait jamais si c’est un thème ou juste Shorter qui lance quelques notes… C’est tellement dans la musique comme si c’était écrit. À ce niveau-là, ils ont quand même fait très fort. C’était délibéré de leur part, c’est comme ça qu’ils ont fait le groupe, Shorter et Zawinul : faire une musique où l’on improvise tout le temps et on l’on n’improvise jamais… dans le sens où je l’entends, on improvise mais on ne fait pas vraiment de chorus, c’est un peu là que ça se passe…