interview

Richard Bona

Propos recueillis par Stéphane Barthod
le 14 novembre 2014 au Big Band Café (Hérouville-Saint-Clair)

Richard Bona
Richard Bona le 14 novembre 2014 – Photo : Stéphane Barthod

Rencontre avec Richard Bona à l'occasion de son passage au Big Band Café.

Aux origines de la basse

Peut-on revenir rapidement sur le début de ton parcours ? Tu n’as pas commencé par la basse ?

En effet, j’ai commencé par le balafon… Je suis né au Cameroun et j’ai grandi avec des musiciens autour de moi. C’est ainsi que j’ai commencé à taper dans le balafon, à jouer des percussions, de manière anodine, naturelle, sans avoir aucun projet, juste histoire de s’amuser… J’ai commencé très tôt et je n’ai plus jamais arrêté de jouer.

Comment expliques-tu que la basse soit aussi présente au Cameroun ?

Il n’y a pas en fait d’école de basse au Cameroun. Si quelqu’un avait monté une école de basse dans les années soixante, soixante-dix, on aurait donné tous nos crédits à cette école, malheureusement ça ne s’est pas fait. Personnellement, je pense plutôt que l’émergence de beaucoup de bassistes camerounais vient plutôt du fait que les graves ont un rôle très important dans les musiques traditionnelles au Cameroun, dans l’organigramme même de la musique traditionnelle en général.

Et quels instruments traditionnels jouent ce rôle de la basse ?

Pour nous, à l’Est, c’était le balafon justement. Quand vous allez à l’Ouest, au pays Bamiléké, tu vois des sanzas qui jouent des notes graves ; au Nord, ce sont plutôt des flûtes…

Parmi les premières influences, il y avait Jean Dikoto Mandengue ?

Bien sûr, quand on était gamins, on écoutait Jean Dikoto Mandengue, Vicky Édimo, Aladji Touré, beaucoup de bassistes de cette époque, mais moi, à ce moment-là, je ne jouais pas encore de la basse, je n’étais pas attiré par l’instrument : je jouais de la guitare. J’ai joué du balafon, de l’orgue, de la guitare rythmique, mais j’écoutais bien ce que jouaient les bassistes et lorsque j’ai commencé à en jouer moi-même, je savais déjà ce qu’ils faisaient. Je suis venu à la basse en écoutant Jaco Pastorius.

Où l’as-tu écouté : en France, au Cameroun ?

Je l’ai entendu sur son premier album au Cameroun, quand j’avais 14-15 ans. C’est lui qui m’a fait redécouvrir les bassistes camerounais. Je ne jouais pas de basse avant, j’avais d’excellents bassistes autour de moi et je préférais la guitare, c’était plus difficile, stimulant… Jusqu’au jour où j’ai écouté Jaco Pastorius : je n’avais jamais entendu la basse jouée comme ça. C’est de ce jour que j’ai officiellement changé d’instrument.

Richard Bona
Richard Bona le 14 novembre 2014 – Photo : Stéphane Barthod

Les autres instruments

Poly-instrumentiste, sur quel instrument composes-tu plutôt ?

Je n’écris pas beaucoup à la basse en fait : je compose finalement beaucoup au piano… Peut-être suis-je devenu flemmard au niveau de la composition… Avec le piano, j’ai tout devant moi, les accords, je change facilement les choses, ça va plus vite. Je préfère faire travailler mon cœur que mes neurones en composant… Je compose aussi à la guitare, la basse en fait vient après.

Tu viens d’acheter un piano d’ailleurs ?

Oui, c’était un rêve pour moi, je voulais m’acheter un Steinway depuis des années. J’en avais vu un autre il y a quelques mois et j’ai changé d’avis. C’est un instrument qu’on achète pour une vie, pas pour le revendre un ou deux ans plus tard. Je cherchais un Steinway pour enregistrer, dans mon studio. Le premier était bien mais il avait presque 150 ans, il avait « fait la route »… Celui que j’ai trouvé date de 1916, il a été bien retapé, il sonne vraiment très bien et j’ai hâte de finir la tournée pour le retrouver.

Tu as joué de la contrebasse aussi et c’est un instrument avec lequel on ne t’entend plus depuis longtemps...

J’ai joué de la contrebasse au début en France, mais en arrivant à New York, c’était trop galère. J’avais envie d’en jouer mais c’était trop difficile ; quand j’avais un gig, je devais porter la contrebasse, l’ampli, prendre le métro, j’arrivais en sueur, et puis à un moment je me suis découragé et j’ai trouvé que c’était vraiment plus facile avec la basse. En revanche, je joue de la contrebasse à la maison, j’aime beaucoup ça, mais pas pour tourner.

Pour en revenir à la composition, as-tu un schéma particulier ?

Ça dépend des morceaux, selon l’inspiration. Ça peut partir des percussions, de la voix, ça dépend des jours… Et puis l’inspiration, c’est bizarre, c’est comme les saisons. Certains jours, j’arrive dans mon studio le matin avec un moral d’enfer pour enregistrer et rien ne sort, je joue comme une savate… D’autres jours, même au saxophone, tout marche bien… je prends la trompette et je me dis que je n’ai même pas besoin d’appeler un trompettiste. Des jours, j’ai la main, d’autres jours… va savoir pourquoi il pleut ! C’est l’avantage aussi d’avoir son propre studio. Avant, quand on louait les studios, il fallait enregistrer, qu’on ait la main ou pas. Le studio était réservé de 10 heures à 20 heures, qu’on soit inspiré, qu’il tonne, qu’il pleuve, qu’il neige, il fallait enregistrer. L’avantage d’avoir un studio, c’est que les jours où je ne suis pas inspiré, je prends mon vélo, je vais dans la forêt, ou je prends ma carabine et je vais chasser un faisan, et demain… on recommence ! C’est le confort dont j’ai toujours rêvé par rapport à la musique. Je suis un passionné de musique et je me nourris de musique.

Richard Bona
Richard Bona le 14 novembre 2014 – Photo : Stéphane Barthod

Actualité

Venons-en à l’actualité… Qu’en est-il de l’album de Stevie Wonder sur lequel tu as travaillé ?

Curieusement, j’ai reçu un e-mail il y a deux jours, de David Foster, le réalisateur, précisant que l’album a été arrêté un moment pour des raisons que je ne vais pas détailler ici et qui ne sont pas d’ordre musical, mais qu’il est dans les starting-blocks. J’ai été invité sur deux morceaux et j’ai participé aux arrangements. Nous n’étions que tous les deux dans le studio et j’ai joué de tout finalement : des percus, de la basse, de la guitare, il m’a même demandé de faire des chœurs, il m’a laissé jouer le piano… j’ai fait un petit arrangement de cordes avec des samples, qui devait être repris et réorchestré avec le London Symphony Orchestra, Stevie devait mettre des paroles dessus… C’est là que je me suis arrêté. La suite, maintenant, c’est des affaires de business…

En parlant business justement, tu as eu un contrat avec Columbia, puis Universal. Te sens-tu libre artistiquement ?

Je dois dire que pour moi, le premier album, c’était une façon de plus ou moins observer, je suis un très fin observateur. Je ne connaissais rien au business donc j’ai observé puis j’ai rectifié le tir. Je m’en sors plutôt très bien… J’ai fait deux albums avec Columbia, puis on a cassé le contrat (NDLR : qui était à l’origine pour six albums) et je suis allé chez Universal. À l’heure actuelle, je me dis que ça ne sert à rien de faire des albums avec des maisons de disques : qu’est-ce qu’elles apportent aujourd’hui ? Je peux vendre mes albums en tournée, j’ai un studio… Le plus important est de se rendre indépendant ; je le suis aujourd’hui et je vais continuer dans cette direction.